3. sept., 2014

Texte

 

La désignation des nouveaux responsables de l'Union

 

 

Après les élections européennes, les fonctions essentielles de l'Union ont trouvé leurs responsables. Même s'il faudra encore attendre l'investiture de la Commission pour que le processus s'achève, on connait aujourd'hui les noms des présidents de la Commission, du Parlement européen, du Conseil européen et de la nouvelle haute représentante pour la PESC

Le président de la Commission

S’agissant du Président de la Commission, le Parlement ou plus précisément les groupes politiques avaient, comme on le sait, décidé d'utiliser les nouvelles dispositions du traité de Lisbonne pour accroître leur contrôle sur la désignation du président de la Commission. A vrai dire, le traité de Lisbonne ne bouleverse guère le processus, tout au moins sur le plan juridique. Selon l'article 17, le président est, comme auparavant, choisi par le Conseil européen et approuvé par le Parlement. La majorité requise est la majorité des membres composant le Parlement alors qu'avant Lisbonne la majorité relative suffisait. Mais le véritable changement est symbolique. Autrefois, le vote du Parlement était une approbation alors qu'aujourd'hui le Parlement élit le Président. Le changement du terme est riche en signification politique. Il peut donner l'impression que le président ne tire plus sa légitimité des Etats (Conseil européen) et des représentants des peules européens (Parlement), mais seulement de ces derniers. Enfin, le traité impose au Conseil européen de tenir compte du résultat des élections et de procéder aux consultations appropriées. La chose n'est pas nouvelle, car, par le passé, il eut été fort imprudent pour le Conseil européen qui avait besoin de l'approbation du Parlement de ne pas prendre en compte ces éléments, mais aujourd'hui ces précautions politiques ont été transformées en obligations juridiques. Il n'est donc pas étonnant que le Parlement en ait tiré la conclusion que la légitimité du président de la Commission procédait de lui et ait tenté d'accroître son emprise sur le processus.

Afin d’atteindre ce résultat, il reprenait l’ancienne idée, avancée notamment par Jacques Delors, d’établir un lien entre la désignation du candidat à la présidence de la Commission et le résultat des élections. Chaque formation politique européenne désignerait un candidat et les électeurs choisiraient le futur président à travers leur vote pour l’une de ces formations. En reproduisant un système qui est classique dans bien des Etats membres, le Parlement espérait, en personnalisant le scrutin, lutter contre l’absentéisme, exercer une influence décisive sur le choix du président et renforcer la Commission qui bénéficierait d’une légitimité démocratique accrue.

Dans une résolution du 22 novembre 2012, le Parlement demandait aux partis politiques de présenter lors des élections des candidats à la présidence de la Commission lesquels seraient les chefs de file de chaque parti lors de la campagne électorale. Ce conseil a été tout d’abord suivi par les socialistes, ce qui ne saurait surprendre puisque M. Martin Schultz, président du Parlement, en était l’inspirateur et pensait bien en être le principal bénéficiaire. Les libéraux désignaient M. Guy Verhofstadt, président du groupe et ancien premier ministre belge.  Les Verts choisissaient Mm Ska Keller et M. José Bové et le parti de gauche européen, le charismatique leader du parti grec SYRIZA, M. Alexis Tsipras. Pour le parti populaire européen, qui ne semblait guère convaincu de la manœuvre à l’origine, il s’alignait sur les autres formations et désignait, l’ancien premier ministre luxembourgeois et ex-président de l’Eurogroupe, M. Jean-Claude Junker vainqueur d’un scrutin qui l’opposait au commissaire français Michel Barnier. MM. Junker et Verhofstadt  avaient été par le passé des candidats possibles, et bénéficiant d’un certain soutien d’Etats membres, à la présidence de la Commission ou du Conseil européen. M. Junker avait été choisi bien que n’étant pas candidat à un siège de parlementaire européen.

 

La personnalisation du scrutin et les débats entre les « spitzenkandidaten » (pour reprendre la terminologie allemande qui s’est imposée) ne semblent avoir provoqué d’intérêt que dans les pays germaniques, Allemagne et, à un moindre degré, Autriche. Les autres Etats membres n’ont guère été pas avoir été très sensibles au phénomène et leurs chaines de télévision se sont montrées fort réticentes à retransmettre les débats organisés entre les candidats. Comme auparavant, les campagnes électorales sont restées essentiellement nationales. Quant à la participation, elle a légèrement baissé au niveau européen passant de 43% à 42,54%. L’effet de la nouvelle stratégie du Parlement sur la participation semble faible, sauf peut-être en Allemagne où la participation a augmenté de près de 5%.

 

Par contre, l’influence sur la désignation du président de la Commission est difficilement contestable. Dès le lendemain des élections, les présidents des groupes politiques de « l’ancien » parlement de mandaient au président du Conseil européen de soutenir la désignation de M. Juncker, candidat du groupe politique arrivé en tête, sans toutefois disposer de la majorité absolue (221 sièges sur 751). Cette désignation fut évoquée lors de la rencontre informelle des chefs d’Etat ou de gouvernement du 27 mai et M. Van Rompuy fut chargé de conduire les consultations nécessaires. Le Conseil européen des 26/27 juin désignait à la majorité qualifiée M. Juncker, le Royaume-Uni et la Hongrie ne pouvant s’associer aux autres Etats membres. Il est à noter que M. Cameron avait mené une campagne publique contre la désignation de M. Juncker mettant implicitement en balance la participation future du Royaume-Uni à l’Union. C’est la première fois que la désignation du président ne peut se faire à l’unanimité, les vetos britanniques contre MM. Dehaene et Verhofstadt ayant par le passé conduit à choisir d’autres candidats. Le Conseil européen marquait également ses hésitations quant à la procédure suivie indiquant qu’il réexaminerait la question du processus de désignation futur « dans le respect des traités. De même, le Conseil adoptait le même jour un agenda stratégique destiné à encadrer le travail législatif des cinq prochaines années et invitait M. Juncker à en débattre avec lui lors de sa prochaine session. Enfin, le 15 juillet 2014, le président désigné était élu par le Parlement par 422 voix, un résultat qui dépassait largement la majorité qualifiée. A titre de lot de consolation, M. Martin Schultz était réélu président du parlement pour deux ans et demi, ce qui pouvait être vu comme une concession au groupe socialiste dans un souci d’équilibre bien qu’après le mandat de M. Schultz le siège doive revenir à un  membre du PPE.

 

En conclusion, la stratégie du Parlement a-t-elle porté ses fruits et une coutume constitutionnelle est-elle en voie de formation ? Une hirondelle ne fait pas le printemps et il convient d’être prudent à cet égard. Les réticences des chefs d’Etat ou de gouvernement restent forte et il aurait été intéressant de voir ce qui se serait produit si le candidat socialiste qui n’avait pas le soutien affirmé de son gouvernement était arrivé en tête. Aurait-on recherché une majorité alternative ? Le cas de M. Juncker est particulier. Sa personnalité et son expérience lui auraient déjà par le passé permis d’exercer la fonction même s’il subsistaient quelques réticences de la part de certains Etats. Dans ces conditions, il paraissait préférable d’éviter un conflit avec le Parlement. Aurait-ce été le cas avec un autre candidat ? Pour l’avenir, ne serait-il pas préférable que les chefs d’Etat ou de gouvernement exercent leur influence au sein des partis politiques européens aux réunions desquels ils participent pour sélectionner des candidats acceptables in fine par le Conseil européen. Ce serait une manière d’anticiper la désignation dans une optique non conflictuelle.

 

Le président du Conseil européen et la haute représentante pour la PESC

 

Ces deux nominations dépendant du seul Conseil européen même si le haut représentant en sa qualité de vice-président de la Commission est soumis à l’investiture parlementaire collective de la Commission. Cependant, le choix n’est pas totalement libre. Il est soumis à la loi des équilibres politiques et il était évident après l’élection du président de la Commission qu’une de ces personnalité devrait être socialiste. Il convient également de tenir compte des équilibres géographiques. Enfin, le Conseil européen était résolu de procéder cette fois-ci à l’unanimité.

 

En ce qui concerne la présidence du Conseil européen, le nom de plusieurs personnalités avait circulé dont celui de la première ministre danoise, favorite en juillet mais dont l’étoile palissait progressivement. L’ancien président du Conseil italien, M. Letta, était un candidat potentiel, mais il n’avait pas les faveurs de son successeur, M. Renzi, qui l’avait évincé du pouvoir. Le premier ministre polonais, M. Donald Tusk, semblait fort hésitant. Son élection est liée à la force de conviction de la chancelière allemande, mais aussi à la crise ukrainienne. Dans la mesure où l’on reprochait à la candidate italienne, Mme Mogherini, fortement soutenue par son premier ministre une attitude trop peu ferme face à la Russie, le choix de M. Tusk envoie à cette dernière un signal fort. Sa longévité à la tête du gouvernement polonais en fait un familier du fonctionnement du Conseil européen. Enfin, il ne faut pas négliger le symbole que représente le choix d’un homme politique d’un « nouvel » Etat membre et le rôle tenu par la Pologne dans l’Union afin de maintenir le lien entre les membres de la zone euro et les autres. Lors de la négociation du « fiscal compact », le gouvernement polonais a œuvré avec ténacité pour éviter la constitution d’un Europe à deux vitesses. Le lien sera maintenu puisque, de manière un peu paradoxale, M. Tusk a également succédé au président Van Rompuy dans ses fonctions à la tête de l’Eurozone »

 

M. Tusk étant conservateur, le nouveau haut représentant devait être socialiste. La nomination de M. Tusk écartait le ministre polonais des affaires étrangères, M. Sikorski. Restait en lice, Mme Mogherini à quelle, outre ses positions à l’égard de la Russie, était reprochée sa relative inexpérience. Elle remplace M. Ashton qui, elle aussi, était fort inexpérimentée, à sa prise de fonction. Cette dernière a fait l’objet de fréquentes critiques qui portaient tant sur ses qualités personnelles que sur son management du SEAE. En fait, le succès en la matière dépend largement de la confiance que les ministres des affaires étrangères portent au titulaire du poste et ils accordent plus facilement cette confiance à l’un de ceux qu’ils ont côtoyés pendant des années au sein du Conseil. Ce fut l’une des clés du succès de M. Solana. Mme Aston ne présentait pas cette qualité et Mme Mogherini guère plus. Au fond, cela est-il pour déplaire aux grands Etats membres qui souhaitent préserver leur autonomie diplomatique ? De plus, sur les grandes options, le Conseil européen est compétent et, dans ce cadre, le leadership appartient à M. Tusk.

 

Comme avant les élections, les postes de présidents de la Commission et du Conseil européen sont entre les mains des conservateurs et la haute représentante est socialiste. L’attention se porte maintenant sur la répartition des portefeuilles au sein de la Commission, une décision confiée au président, mais dont les Etats membres ne manquent pas de se mêler.