18. oct., 2014

Texte

À propos de la confirmation des membres de la Commission

« Ritorna vincitor »

Jean Paul Jacqué

 

 

 

 

Ritorna Vincitor (Reviens vainqueur), cette objurgation d’une Aida, partagée entre son amour pour Radamés et ses sentiments pour sa patrie, a dû fréquemment être prononcée in petto par les collaborateurs des futurs commissaires lorsque leur patron se préparaient à se soumettre aux auditions de confirmation organisée par le Parlement européen. Cette pratique qui n’était pas prévue par les traités est en principe destinée a vérifier si les Commissaires désignés par le Conseil répondent aux conditions de compétence générale, d’engagement européen et d’indépendance mentionnées à l’article 17, paragraphe 3 TUE. Cette vérification devrait normalement être effectuée par le président de la Commission et le Conseil avant d’établir la liste des Commissaires ; Le traité accorde notamment au président la faculté de ne pas accepter une proposition de nomination émanant d’un Etat membre. Pour marquer son pouvoir, le Parlement a souhaité se joindre à ce processus et son évaluation conditionne en fait l’investiture de la Commission. Cette année, le processus a pris la forme d’un examen académique dont le jury n’était guère impartial et a conduit à un système en profonde discordance avec la nature du régime politique de l’Union.

 

Une parodie de jury d’examen

 

Les commissaires désignés ont du répondre, devant les commissions parlementaires qui couvrent leurs futures activités, à une batterie de questions, les unes posées par écrit avant l’audition, les autres posées par oral. Comme tout examen académique, celui-ci fait l’objet en amont de révisions. Les futurs commissaires doivent ingurgiter un ensemble considérable d’informations sur des questions qui lui sont parfois peu familières et consacrer de longues heures à la lecture de notes préparées par leurs équipes. Ces dernières peuvent d’ailleurs tester la sensibilité des membres du Parlement sur tel ou tel sujet auprès de leurs collègues qui travaillent au sein du Parlement. De l’attention portée à ces « révisions » nait l’aisance à répondre sans lecture balbutiante de ses fiches ce qui ne manque pas d’impressionner les membres des commissions parlementaires. Compte tenu du fait que parfois l’auteur de la question ne connaît guère plus le sujet que l’interviewé, l’exercice n’a pas toujours un grand intérêt.

 

En outre, le futur commissaire n’a pas une grande latitude dans ses réponses. Il est prisonnier du programme fixé par le président de la Commission et par la lettre de mission que celui-ci lui a adressée. Il ne peut guère s’aventurer hors de ce cadre puisque toute annonce sortant de celui-ci pourrait aller à l’encontre du principe de collégialité. Dans ces conditions, que peut-il faire d’autre que de rappeler les données factuelles, ce qui a été programmé par le président, souligner pour capter la bienveillance de l’auteur de la question que celle-ci est importante et, enfin, souligner qu’il travaillera en ce domaine en étroite collaboration avec le Parlement. Il est d’ailleurs surprenant que, lors de cet exercice, on se garde bien de faire référence à l’autre branche du pouvoir législatif, le Conseil. Ceci serait inconvenant dans l’enceinte du Parlement.

 

Comme souvent en politique, on assiste à un jeu de miroirs qui n’a rien à voir avec ce que seront les réalités après l’investiture. L’essentiel comme dans tout examen, est de séduire le jury et de le rassurer sur sa compétence, tout récemment acquise, et sur son indépendance. On ne peut qu’être frappé, sans être pour autant surpris, du caractère répétitif des questions adressées à M. Moscovici ou à M. Hill sur leur indépendance vis-à-vis de l’Etat dont ils ont la nationalité ainsi que des assurances répétées, ad nauseam et la main sur le cœur, de leur volonté d’agir dans leur fonction dans le seul souci de l’intérêt général.

 

Le problème, s’il s’agit de vérifier la compétence technique des futurs investis est que ni les candidats, ni le jury n’ont les connaissances nécessaires. Aussi quelle joie lorsque l’on peut sortir du cadre et disserter sur des sujets autres comme la manière dont la commissaire slovène s’est elle-même proposée comme candidate ou sur le contenu de la déclaration d’intérêt d’autre candidat. En fait, le traité lui-même ne fait pas référence à la compétence technique des candidats, mais évoque leur compétence générale ce qui est bien différent. Ce qu’il convenait de vérifier, ce n’est pas leur aptitude à gérer un domaine technique particulier, mais à remplir leurs fonctions de manière convenable.

 

Cette parodie d’examen est un exercice de façade destiné à montrer que le Parlement exerce un contrôle démocratique sur les candidats, mais il dissimule, sous son apparente objectivité un jeu politique moins reluisant.

 

Un jeu politique

 

La preuve de la sélectivité d’un examen réside dans le nombre des échecs. Le Parlement a besoin de ceux-ci pour montrer son pouvoir. Depuis les débuts de l’exercice, chaque président de la Commission a été amené à sacrifier l’un de ses membres sur l’autel du Parlement. Pour permettre à sa flotte d’appareiller avec des vents favorables vers Troie, Agamemnon a du sacrifier Iphigénie. La Commission Juncker devait elle-aussi sacrifier un de ses membres pour appareiller vers l’investiture, encore que ce soit peut-être faire trop d’honneur à Mme Bratusek que de voir en elle une nouvelle Iphigénie. D’ailleurs, les futurs présidents de la Commission auront sans doute intérêt, dans l’avenir, à recruter des membres de leur équipe voués au sacrifice. Doit-on faire crédit à M. Juncker de ne pas avoir lui-même envisagé la question ?

 

Compte tenu de l’équilibre des groupes parlementaires en présence, le choix était assez simple. S’en prendre à un candidat soutenu par l’un des grands groupes politiques risquait de provoquer des représailles qui auraient conduit à une hécatombe générale. Les candidats soutenus par ces groupes se trouvaient sanctuarisés. Une parlementaire française, Mme Pervenche Bérès, parlait d’équilibre de la terreur tandis que M. Lamassoure indiquait clairement que le refus de confirmer les candidats soutenus par le PPE entrainerait des représailles à l’encontre des candidats socialistes. En outre, peut-être existait-il aussi une certaine réticence à mettre en cause des candidats originaires de grand Etats membres en l’absence de tout élément douteux dans leur dossier ce qui était le cas dès lors que M. Canete avait corrigé sa déclaration d’intérêts.

 

Pour maintenir une apparence d’impartialité, le Parlement soumettait six candidats à des épreuves supplémentaires, mais ne s’opposait qu’à l’un d’entre eux, Mme Bratusek. L’apparence était sauve et la décision ne tourmentait guère le gouvernement slovène qui ne soutenait pas sa candidate et qui acceptait de la remplacer par une autre candidate au profil « New Age » intéressant. De son côté, M. Juncker en sera quitte dès qu’il aura  revu les attributions de certains commissaires ce qui pourrait retarder l’entrée en fonction de la Commission si le Parlement exigeait de nouvelles auditions.

 

Faut-il reprocher au Parlement son attitude ? Certes non, comment critiquer une institution politique pour avoir fait jouer des alliances politiques et politisé ainsi une procédure qui devait reposer avant tout sur une évaluation des compétences des membres de la Commission. En fait, c’est la procédure elle-même qui est ambiguë. Si, comme le Parlement le souhaite, la Commission est une institution politique, le vrai débat politique doit avoir lieu lors de l’investiture. Procéder comme il a été fait à un examen des compétences techniques des commissaires confine la Commission dans un rôle qui lui a été souvent reproché et dont elle souhaite sortir, celui d’un organisme technocratique. Cette ambiguïté repose sur une méconnaissance des systèmes politiques ou sur une incertitude quant au système politique de l’Union.

 

L’incertitude quant au système politique de l’Union

 

La procédure de confirmation des membres du gouvernement est une des particularités des Etats-Unis d’Amérique. La raison en est simple. Fondé sur la séparation des pouvoirs, l’exécutif américain n’est pas responsable devant le Congrès hors la procédure très spécifique de l’impeachment. Les ministres et les fonctionnaires dépendant du seul Président. Il est donc naturel qu’avant leur prise de fonction, ils soient soumis à un examen devant le Sénat puisque, par la suite, le Congrès ne pourra mettre en jeu leur responsabilité.

 

Dans un régime parlementaire, l’exécutif tire son autorité de l’investiture parlementaire et il est soumis à un contrôle parlementaire permanent qui peut conduire au vote d’une motion de censure. Il n’existe donc aucune raison de procéder à des auditions avant l’investiture puisque le Parlement contrôlera en permanence l’activité gouvernementale et pourra provoquer au besoin un remaniement ministériel. Il est d’ailleurs couramment admis qu’un ministre n’a pas besoin d’être un expert dans le domaine dont il a la charge. Ce que l’on attend de lui, c’est la capacité de comprendre les problèmes, de fixer des orientations et de proposer des décisions. Pour le reste, il s’appuie sur son administration. La vision politique s’oppose à la vision technocratique.

 

 Il faudra bien un jour que l’Union sorte de son ambiguïté constitutionnelle. Soit elle opte pour un régime de séparation des pouvoirs et les auditions ont toute leur place, mais il faut élire le président de la Commission au suffrage universel et supprimer la responsabilité de cette dernière devant le Parlement. Soit on suit la pente naturelle européenne et l’on fait le choix su régime parlementaire, mais il n’est plus possible de cumuler les attributs du parlementarisme avec ceux du régime présidentiel et, parmi d’autres choses, les auditions doivent disparaître tandis qu’un pouvoir de dissolution du Parlement  doit venir rétablir l’équilibre entre les pouvoirs. Il existe d’autres moyens de s’assurer de l’intégrité des futurs commissaires, par exemple en chargeant de cette fonction spécifique un organe indépendant.

 

Le système actuel repose sur un double refus de choisir dont on est amené à penser qu’il persistera longtemps : le refus de choisir entre une Commission politique et une Commission technocratique, le refus de choisir entre un régime parlementaire et un régime de séparation rigide des pouvoirs .